Marcela Iacub, perdue dans la lumière (2024)

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  • Le Monde des livres

De la chercheuse engagée à l'écrivain scandaleuse, comment la juriste a peu à peu cédé au désir violent d'être connue, reconnue.

ParJulie Clarini et Marion Van Renterghem

Publié le 28 février 2013 à 16h07, modifié le 01 mars 2013 à 16h12

Temps de Lecture 5 min.

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Avant son coup d'éclat diabolique, la turbulente Marcela Iacub était pleine de crainte. Pour la première fois de sa carrière, l'essayiste de 48 ans se lançait en littérature avec Belle et Bête. " Elle avait peur que son histoire n'intéresse personne, que personne ne s'intéresse à elle", confie Jean-Marc Roberts, son éditeur.

Elle est parvenue à attirer la lumière au-delà de ses espérances. En dévoilant dans un entretien au Nouvel Observateur l'identité réelle de son héros, de celui qu'elle décrit comme un monstre mi-homme, mi-cochon, l'écrivain a magistralement atteint le scandale - au point de réduire le livre à cela. La "une" accrocheuse de l'hebdomadaire, "Mon histoire avec DSK", a renvoyé d'un coup la littérature du côté de l'arrière-cuisine. Et incité l'ancien directeur du Fonds monétaire international (FMI) à déclencher une procédure judiciaire.

A en croire son éditeur, Marcela Iacub avait hésité à rendre reconnaissable M. Strauss-Kahn, avec lequel elle dit avoir entretenu une relation de sept mois, en 2012. "Dans une première version, explique Jean-Marc Roberts, elle avait enlevé les noms et les lieux. C'était un autre livre, et il était mauvais. Je l'ai poussée à faire une version où on reconnaisse davantage celui qui l'avait inspirée. Le livre devenait alors beaucoup plus fort."

Comment la chercheuse au CNRS, la disciple de l'historien du droit Yan Thomas (1943-2008), la juriste aux travaux novateurs sur les questions de sexualité et de filiation, en est-elle arrivée là ? Elle qui est intervenue en défense d'un Dominique Strauss-Kahn empêtré dans les affaires du Sofitel et du Carlton, pourquoi étale-t-elle soudain la vie privée du "cochon" ? Pourquoi cet étrange mail écrit à DSK, aux accents paranoïaques, où elle se dit instrumentalisée par on ne sait qui ?

En guise d'explication, elle nous a raccroché au nez sans prononcer un mot. Ses amis, en choeur, disent qu'ils "n'y comprennent rien". La plupart ne souhaitent pas s'exprimer. Dans Le Nouvel Obs, Marcela Iacub avançait trois hypothèses pour tenter de s'expliquer : le défi d'écrire ce livre, son envie de mourir ou encore voler au secours de DSK. Parce qu'elle est une sainte. "Oui, une sainte, disait-elle. Je suis une sainte au sens où je me sens obligée de sauver ceux qui sont honnis et méprisés."

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L'essayiste s'est fait une spécialité d'être étonnante. Avec son délicieux accent argentin, ses yeux noirs ultra-maquillés, son turban ou sa coiffure à la Louise Brooks, ses tenues extravagantes, ses minauderies charmeuses, elle fait la joie des animateurs de télévision. Thierry Ardisson aime son "esprit tordu". "Elle disait des trucs incroyables, du genre : "Au lieu de vendre son corps comme caissière à Auchan, on peut aussi bien le vendre à un mec'', raconte-t-il. Elle était spectaculaire."

Ses amis racontent son inventivité et sa drôlerie, cette fantaisie stimulante qui la distingue. Ces dîners où elle a l'art "de lancer des idées visionnaires et marrantes, d'inventer des mondes possibles et délirants". Se réclamant du féminisme, elle est exécrée par les féministes. Elle s'énerve contre la victimisation des femmes, les accuse d'être les premières actrices de la domination masculine. Attend impatiemment l'utérus artificiel qui permettra aux hommes de faire des enfants seuls... Autant de provocations vigoureusem*nt testées à table avant d'en tirer une chronique dans Libération.

Sa radicalité offense et entretient les amalgames. En 2012, elle franchit la ligne jaune avec Une société de violeurs ? (Fayard), une défense des hommes parfois comprise comme une liberté de violer. "Le charme de Marcela, conclut un de ses proches, c'est de n'avoir pas de censure, ce qui lui permet de penser ce que personne ne pense. L'inconvénient et le prix à payer, c'est... qu'elle n'a pas de censure." La mise en danger fait partie de ses habitudes.

L'enfant de Buenos Aires, fille d'un avocat et d'une femme d'affaires, arrière-petite-fille de rabbin, a connu la dictature des généraux et vu ses parents brûler leurs livres pour échapper aux contrôles de l'armée. Elle a étudié le droit, est devenue avocate dans la capitale argentine, puis s'est installée en France en 1989, à 25 ans. La vieille démocratie l'oblige : au pays des Lumières, elle se donne pour mission d'assumer la liberté de ce qu'elle pense et, mieux encore, de penser a contrario des autres. Une jouissance du paradoxe aiguisée par ce curieux mélange qu'elle porte en elle.

La liberté est son obsession. Elle dénonce les formes de la bêtise humaine que sont l'autoritarisme, le paternalisme, le moralisme. Juriste, elle s'appuie sur le droit comme technique d'émancipation. Elle travaille sur les cas limites pour dénicher le fonctionnement caché d'une société. Elle met en garde contre les références au psychique, au mental, à la dignité, ou contre le mimétisme du droit avec la nature : pourquoi empêcher deux hommes d'enfanter, ou une femme sexagénaire ? Elle soutient l'hom*oparentalité, se bat pour la liberté de se prostituer, défend la p*rnographie : plutôt que les inoffensives images p*rnos, ne faudrait-il pas interdire l'amour, aux ravages indubitables ?

Comme souvent les esprits radicaux, Marcela Iacub est une femme de rupture. Du genre qui se fâche. "C'est une fille inquiète, complètement à vif", analyse l'écrivain Catherine Robbe-Grillet, qui a partagé certains de ses combats. Rares sont les amis qui ne s'estiment pas "fâchés" avec elle, ou l'ayant été malgré eux : ils ont émis un jugement qui la contrariait, une idée qu'elle trouve bête. Marcela Iacub aime se dépeindre comme une nonne. Divorcée du philosophe Patrice Maniglier, elle prétend se moquer de la solitude. Aux humains, elle préfère son perroquet, décédé il y a quelques années, et maintenant sa petite chienne Lola, devenue célèbre dans l'interview du Nouvel Observateur : que DSK n'ait pas noté la présence de Lola pendant les mois où il venait chez elle est à ses yeux le signe de son "mépris envers autrui". Végétarienne, elle professe l'inclusion des animaux domestiques dans l'humanité.

Au fil du temps, la jeune chercheuse, qui répugnait à parler en public, prend goût aux médias. Elle se détache peu à peu de ses recherches et de ses combats d'antan. L'ancienne militante du pacs s'est à peine intéressée au débat sur le mariage pour tous, qu'elle juge "triste".

"On avait sans cesse de grands débats théoriques sur la justice et la sexualité, ses sujets de recherche pendant plus de vingt ans. Depuis quelques années, elle ne parle plus que de ses chroniques dans Libé. Elle a un désir violent d'être connue et reconnue", constate l'avocat Emmanuel Pierrat. "Elle voulait faire un coup, dit un autre proche. Elle rêvait d'un succès populaire."

Un désir violent, aussi, d'aller toujours le plus loin possible. Du côté des "cas limites", qu'elle étudiait en droit, comme son maître Yan Thomas. Mais son coup médiatique ressemble à un coup de grâce. L'intellectuelle est marquée au fer rouge : que retiendra-t-on désormais de ses travaux, au regard de cette autofiction scandaleuse ? "Il y avait la Loana du loft, il y aura maintenant la Marcela du DSK", résume Emmanuel Pierrat.

Julie Clarini et Marion Van Renterghem

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